Welcome to random era.
Le nouveau règne du hasard comme menace et opportunité.

Rarement notre moral aura été autant chahuté, mis à mal, face aux crises qui se conjuguent, se succèdent dans un tourbillon qui ne semble plus vouloir s’arrêter. En témoigne l’indicateur Insee de confiance et de moral des ménages qui continue de baisser pour s’établir à 83 points, restant ainsi bien au-dessous de sa moyenne de longue période (100 entre janvier 1987 et décembre 2022).

En parallèle, c’est aussi notre capacité de projection dans l’avenir “tout court” ou de manière sereine (soyons fous) qui semble au point mort, faisant écho à une incertitude de plus en plus grande et protéiforme. Dans cette “loterie des crises”qui fait désormais partie de notre quotidien, on s’attend à tout, souvent au pire. Légitime et même on ne peut plus humain, face aux années que nous venons de traverser, marquées par le sceau de “l’improbablement morose”. Quand ils font l’exercice périlleux de se projeter, 83% des Français considèrent l’avenir comme inquiétant, selon l’Ifop.* De quoi avoir envie de fuir notre réalité présente et l’avenir qu’elle présage, non ? Un sujet que nous avons d’ailleurs traité ici ou encore ici.

Le tout, sur fond de lien social de plus en plus fragilisé et de pandémie de solitude avec - par exemple et tristement - 70 % des Français qui “ne font pas confiance à la plupart des gens” selon Ipsos ou 11 millions de personnes qui se sentent seules dans l’Hexagone selon la Fondation de France (nous y reviendrons plus en détails dans un prochain Insight Loop). Une situation venant un peu plus accentuer la pénurie de réponses et de piliers communs face à cette ère du brouillard et de l’absence de solutions ou d’espoirs concrets.

A quoi se raccrocher, alors ? Pourquoi pas au hasard, justement ? Ou du moins aux réponses moins “rationnelles” et à l'espoir qui sont intrinsèquement et naturellement présents en lui. Un hasard aux deux visages, face à l’époque : à la fois le problème et la solution symbolique.

En chinois mandarin, le mot crise se dit weiji. Ce mot comprend deux caractères: le wei que nous retrouvons dans le mot weixian qui veut dire danger, et le caractère ji que nous retrouvons dans le mot jihui qui veut dire opportunité, occasion.

Comme il semble inconfortable voire impossible de n’avoir aucun élément auquel se raccrocher, c’est en effet dans le hasard au sens large qu’une autre forme de réponse va chercher son ADN et émerge. Une forme de réponse qui prend déjà plusieurs formes et gagne un peu plus en pertinence, à l’image d’une conjuration symétrique à l’actualité.

Manifestation certainement la plus visible, l’engouement pour des formes de spiritualités variées, qu’elles soient anciennes ou nouvelles, qui font office de refuge mental et moral. Un engouement qu’on observe du côté de la population et qui est déjà - et toujours autant - préempté côté marques. Un sujet que nous avions abordé ici, à travers notre analyse du secteur du luxe et ses évolutions. En France en 2022, les ventes de livres dits ésotériques ont augmenté de 60%, selon une étude L’ObSoCo | L’ADEME | BPI France Le Lab. Sur TikTok, le #astrology a généré 54 milliards de vues et le #witchtok 32 milliards. CQFD.

Autre manifestation, les concepts de chance et de “pif”, auxquels nous semblons volontiers et davantage nous abandonner. Faits évocateurs, par exemple, la sortie de Wish, le dernier film Pixar et le sujet qu’il aborde : le fait de croire en sa bonne étoile, en sa chance. Ou encore les 25 millions de joueurs par an, rien que pour la Française des Jeux, qui a engrangé 20 milliards d'euros de mises en 2022. Une hausse de 8,7% et un chiffre d'affaires en hausse de 9%, pratiquement 2 milliards et demi d'euros, selon l’Autorité Nationale des Jeux.

Une attirance pour le “pif” qu’on retrouve déjà - et de plus en plus - chez les marques. Par exemple dans le monde de la mode, avec Chanel qui nous faisait “son grand numéro” de cartes et de magie cette année pour nous faire découvrir ses différents parfums, ou encore Courrèges et sa blind box avec laquelle les acheteurs ne savaient pas sur quel vêtement ils allaient tomber (le format blind box revenant d’ailleurs sur le devant de la scène, plus pertinent que jamais). Ami Paris est également un exemple récent, avec ses Ami 999 Mystery Boxes permettant “ d’accéder à des contenus et à des expériences exclusives sur amiparis.com”.

Autre secteur propice qui manifeste également son intérêt pour le hasard, celui des loisirs. Par exemple avec Slowbreak, qui propose de réserver des voyages surprise, le tout en train ou encore les organisateurs de concerts suédois Luger et Live Nation qui, pour encourager la découverte, se sont associés pour créer un ticket de concert inédit et insolite, le Shuffle ticket, vous donnant accès à un concert mystère. On pense également à Orelsan, qui avait caché des golden tickets sans ses disques, façon Willy Wonka ou bien au Ritz qui, pour Noël, offrira une nuit dans l’une de ses suites à la personne qui trouvera le Golden Ticket caché par le palace.

Pour Aristote, point de bonheur sans la présence de la chance et du hasard dans l’existence. Nous sommes on ne peut plus d’accord ! Face à un monde incertain voire “désenchanté” et de plus en plus rationalisant (tout en n’apportant pas de réponses rationnelles satisfaisantes, nous l’avons vu), les marques ont plus que jamais l’opportunité - si ce n’est le devoir - de ré-injecter de l'enchantement et une forme d’espoir dans le quotidien des personnes auxquelles elles s’adressent et ce, quel que soit leur secteur d’intervention. Pour ce faire, nous l’avons vu, le hasard ascendant irrationnel est une formidable source d’inspiration. Les nouvelles spiritualités et le regain d’intérêt pour d’autres types de “mythologies”, narrations et réponses sont par exemple l’opportunité d’enrichir son storytelling et son univers de marque (sans tomber dans dérive sectaire, évidemment ou dépasser son rôle). En parallèle, plusieurs notions clés sont à (re)prendre en compte dans leurs stratégies de communication comme soupapes morales : (re)créer des premières fois, pousser à la découverte et à la flânerie, à l’imprévu, à la spontanéité, faire de la surprise un ancrage, encourager les nouvelles rencontres. Des notions qui , en plus de résonner avec le contexte que nous venons d’aborder, résonnent particulièrement avec les 92% des 18-30 ans qui partagent le constat “on ne vit qu’une fois alors il faut que chaque jour compte”, selon l’Ifop.